Addition au Chapitre 9 – 1er paragraphe – Analyse classique de la croissance sur le long terme
Des travaux historiques nous donnent régulièrement une image « lisse » de la croissance économique à travers les siècles. Toutes les recherches aboutissent globalement aux mêmes réflexions : la croissance a peu varié au cours des millénaires avant de frémir quelque peu avant le décollage, souvent fixé autour du milieu du XIXe siècle.
Malheureusement, cette approche macroéconomique ne nous dit rien des innovations qui ont jalonné l’évolution humaine : invention de la roue, du feu, du métal… Evidemment, ces innovations se sont diffusées sur des centaines d’années, voire des millénaires. Il est donc difficile de mesurer le choc qu’elles ont pu constituer. Mais, sans difficulté, on imagine volontiers qu’un marchand qui transporte à dos d’âne ses produits peut voir sa vie transformée parce qu’il peut, tout à coup, utiliser une carriole pour se déplacer, et transporter avec un âne bien plus de marchandise, tout en restant assis et donc en diminuant sa fatigue.
Sur le plan mondial et pour ceux qui n’utilisèrent pas la roue, rien ne changeait. Donc, évidemment, le progrès apporté par la roue n’a pas pu être perçu.
Des économistes comme Michael Kremer (MIT) se sont essayés à mesurer le PIB per capita (dollar US 2000) établi à 130$ il y a 7000 ans, puis à 160$ il y a 3000 ans, 135$ au début de notre ère, 175$ vers l’an 1500, 250$ au début du 19e siècle, 850$ en 1900 , etc. De son côté, Maddison (2001) (The World Economy : A Millennial Perspective, Development Centre Studies, Paris : OCDE ) montre dans un rapport que le PIB avait tout juste augmenté de 53% entre l’an 1000 et 1820, pour ensuite augmenter de 0.5% par an entre 1820 et 1870
Ces chiffres qui reflètent surtout les aspects très récents des progrès de notre société, ne disent rien de l’économie informelle et disent beaucoup sur la transformation de l’économie informelle en économie monétarisée. Pour dire les choses un peu différemment, avec l’accroissement brutal du PIB, on assiste à l’émergence simultanée d’une organisation collective (l’Etat) qui se finance avec des taxes et ne peut donc exister qu’avec une monnaie, ce qui permet de mieux occuper l’espace (créer des routes par exemple) et également l’émergence de techniques nouvelles. Comme si l’homme plus conscient au fil des siècles de sa propre importance et de ses capacités a simultanément cherché à améliorer son organisation et ses outils.
Ce n’est évidemment pas sans conséquence sur l’analyse du développement des pays les plus démunis. Une bonne partie des habitants ne perçoit pas l’existence de l’Etat dans lequel ils vivent et lorsqu’ils commencent à utiliser la monnaie, ils ne sont bien évidemment pas bancarisés et la totalité des échanges s’effectue en espèces sans que l’Etat ne puisse prélever la moindre taxe. Ainsi, à travers le prisme du PIB sur le long terme, on ne peut percevoir l’impact réel des innovations sur les communautés et les sociétés primitives. D’où cette erreur communément commises par des économistes comme Solow mais aussi l’ensemble des classiques et néo-classiques qui ne verront dans l’organisation humaine que d’un côté le capital (monétarisé) et le travail (monétarisé également). Disparaissent ainsi de l’analyse économique plusieurs centaines de millions de paysans pauvres.